Je me tiens à la porte et je frappe…

 ECCE STO AD OSTIUM ET PULSO. (Extrait d'une lettre.)

                                                                                     Chuzenji, 24 août 1922. ...

En écoutant l'effroyable tempête qui secoue en ce moment toute ma maison, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce verset de l'Apocalypse : "Ecce sto ad ostium et pulso". Voici que je me tiens à la porte et je frappe (en latin pulso veut dire aussi je pousse). De quelle porte s'agit-il ? sinon de cette porte perdue au fond de notre âme, de cette porte marquée du sang de l'Agneau (Exode), de cette mystérieuse Porte Orientale dont parle le Prophète Ezéchiel et par qui seul le Sauveur des hommes est admis à passer. Combien triste et injuste que cette porte soit fermée !

Nous sommes comme un mauvais locataire qu'on garde par charité dans une maison qui ne lui appartient pas, qu'il n'a ni bâtie ni payée, et qui se barricade et qui même pour un moment ne veut pas accueillir le maître légitime. Enfin nous sommes tout seuls par une nuit de tempête dans notre maison solitaire et désolée, et tout à coup l'on frappe ! Ce n'est point la porte ordinaire, c'est à cette vieille porte qu'on croyait condamnée pour toujours, mais il n'y a pas à s'y tromper, on frappe, on a frappé ! On a frappé en nous et cela nous a fait mal, comme l'enfant qui bouge, dans une femme pour la première fois.

Qui a frappé ? Il n’y a pas à s'y tromper, c’est Celui qui vient comme un voleur au milieu de la nuit, celui dont il est écrit : Voici que l'Époux vient, sortez à sa rencontre ! Et nous écoutons, palpitants. Peut-être ne frappera-t-on qu'une fois. Peut-être se battra-t-il contre la porte toute la nuit, comme parfois jusqu’au matin nous entendons ce volet exaspérant qui ne cesse d’arloquer et de battre. Mais c'est un tel ennui de se lever et de déclore cette vieille porte ! Elle est assujettie de deux verrous, qui ne font qu'un de ce qui est mobile et de ce qui est inerte : l'un s’appelle mauvaise habitude et l'autre mauvaise volonté. Quant à la serrure, c'est notre secret personnel. La clef est perdue. Il faudrait de l'huile pour la faire marcher. Et ensuite, qu’est-ce qui arriverait si on ouvrait la porte ? La nuit, le grand vent primitif qui souffle sur les Eaux, quelqu'un qu'on ne voit mais, qui ne nous permettrait plus d'être confortablement chez nous.

Esprit de Dieu, n'entrez pas, je crains les courants d’air !

Cependant, on a frappé. Et comment nous a-t-on frappés ? Dans nos affections, dans notre fortune, dans notre chair. Dieu ne frappe pas seulement, il pousse ! Tantôt une poussée violente ; une épreuve, à fond de notre résistance, tantôt une pression insistante, gênante, continue. Il ne pousse pas seulement, il bat (pulso, pulsation), comme les artères douloureusement autour d'une meurtrissure. Il touche, d'une de ces touches soudaines qui arrêtent le cœur. Ou simplement il se mêle à chacun des battements de ce cœur qu’il a fait et qu’il ne cesse de nous faire ; de cette forge en nous qui ne cesse de frapper les sensations et les idées. Il ne cesse de nous ausculter. Et toujours, partout ; il ne rencontre que cette paroi dure et inerte. Ah, Seigneur, nous allons tâcher de Vous ouvrir, nous savons que cela Vous fait du mal de nous frapper ...

Paul Claudel  “Positions et Propositions, II”

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